Une loi visant à lutter contre les « fake news » est inconstitutionnelle
Que deviennent les libertés dans notre démocratie ?
On oublie trop souvent qu’une liberté est composée
de deux critères indissociables : un critère positif, le droit à sa propre
liberté et un critère négatif, le devoir de respecter la liberté des autres. Mais
face aux communautarismes et corporatisme de tous bords, devant l’égalitarisme
érigé en dogme, les libertés s’effacent peu à peu. Ainsi, les Français ont-ils
toujours plus de droits et moins de libertés.
La
liberté « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à
autrui ». Les limites à celle-ci sont définies « par la Loi »
ainsi que les « exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être
général ». Pour autant, la liberté reste le principe suprême et la
« Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la communauté.
Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut
être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. » Cette liberté est la
même pour tous, sans distinction aucune.
La liberté individuelle est composée de la
liberté de pensée, de conscience et de religion ; la liberté d'opinion et la
liberté d’expression et d’information
« sous réserve de la seule diffamation et de l’insulte envers les
personnes, ou d’un appel explicite à la violence ou à la haine envers un
groupe. » C’est aussi la liberté de réunion et d'association
pacifique (la liberté individuelle laisse la place à la liberté collective mais
dans la limite où nul ne peut être tenu de s’associer ou de se réunir contre sa
volonté). La liberté d’expression n’est que la manifestation de la liberté de
penser. Je pense ce que je veux, et j’ai droit de penser faux ou différemment
ou simplement de me tromper. Autant la liberté de penser est sans limite, que
la liberté d’expression doit être contenu et se conjuguer avec d’autres
libertés inaliénables.
Dans un régime démocratique où les citoyens
sont destinés à exercer leur autonomie politique, la fonction essentielle de la
presse consiste à leur donner les moyens de développer leur sens critique,
d'évaluer leurs représentants et leurs administrateurs, et de former leur
jugement politique. Il est par conséquent indispensable que la presse puisse
fournir des informations pertinentes sans dissimuler des faits déplaisants, par
prudence, par crainte ou par déférence à l'égard d'un pouvoir illimité.
Cette liberté d'informer est si essentielle à
la démocratie qu'elle ne saurait être limitée sans mettre en danger les droits
politiques de chaque citoyen. Comme l'écrivait Tocqueville, l'auteur de De
la démocratie en Amérique : "Dans un pays où règne ostensiblement le
dogme de la souveraineté du peuple la censure n'est pas seulement un danger,
mais encore une grande absurdité". Aussi faut-il avoir des raisons
supérieures, impérieuses même, pour la contraindre légitimement.
La liberté de la presse, c’est la liberté
d’expression émise par une personne particulière : le journaliste. La
multiplication des organes de presse du type BFM TV, I-Télé, France Info pousse
la presse à divulguer des informations insuffisamment vérifiées, commettant des
erreurs, et mêlant des faits incertains à des faits avérés. Or, comme le monde
politique, le milieu journalistique n’est pas exsangue de toute critique. La
collusion entre les deux mondes se révèle au grand jour (par sympathie ou par
pression). Il ne s’agit bien sûr pas de condamner toute interaction entre le
monde politique et le monde de la presse (la coexistence est aussi facteur
d’échanges utiles). Il ne s’agit pas de condamner chaque fois que la presse se
rend coupable d'erreurs de bonne foi, on ne produirait qu'un seul effet : la
censure de la presse par son autocensure. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
presse et la combinaison des articles 4, 10 et 11 de la
Déclaration de 1789, présente dans le préambule de la constitution, sont
suffisantes pour protéger et limiter la liberté de la presse.
Le
« non-journaliste » lorsqu’il exprime ses idées dans le cadre privé
n’est voué qu’au courroux de son auditoire (qui semble pourtant être remis en
cause par le décret n° 2017-1230 du
3
août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non
publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire),
mais qu’en est-il lorsque celle-ci s’exprime en public (notamment sur internet
– la fameuse « opinion publique »). Cette liberté d’expression devrait
être soumise aux mêmes règles que celle de la liberté de la presse. Dans sa
décision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel estime que la protection constitutionnelle
de la liberté de communication et d’expression s’applique à Internet compte
tenu du rôle croissant que joue ce média dans l’accès du citoyen à
l’information. Il souligne qu’Internet permet également, à travers la
messagerie électronique, les réseaux sociaux, les blogs et autres forums de
discussion, d’exercer sa liberté d’expression et de contribuer à la diffusion
de l’information et de participer à la circulation et à l’échange d’idées et
d’opinions. De plus, comme le souligne le Comité des ministres du Conseil de
l’Europe dans sa recommandation du 18 février, l’Internet peut être mis au
service du développement de la démocratie par des outils de démocratie
électronique qui peuvent concerner de nombreux domaines (législation
électronique, vote électronique, consultation électronique, pétition
électronique...) et permettre au citoyen de débattre, surveiller et évaluer les
actions de ses représentants. L’information des blogueurs et des internautes en
générale doit être plus poussée afin qu’ils connaissent les conséquences et les
responsabilités de leurs actes. Cette information pourrait faire l’objet d’une
alerte spécifique à chaque entrée sur un site du type de celle concernant
l’utilisation des cookies.
En
intégrant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dans le
préambule de la Constitution, les constitutionnalistes ont conféré une force à
la liberté d’expression supérieur à la loi. Si le projet de loi consistant à
lutter contre les « fake news » part d’un bon sentiment, je ne vois
pas en quoi ceux-ci sont en mesure de troubler l’ordre public et se révèlerait
donc inconstitutionnel. L’appareil législatif et suffisant. La loi votée n’aurait
pour effet que de participer à l’inflation législative. Au passage, la
proposition de loi portée par Jean-Luc Mélenchon réclamant l’instauration d’un
conseil déontologique du journalisme (ou de la presse) se verrait, selon moi,
suivre le même sort. Pour élargir le sujet, il faudra s’interroger sur les prérogatives
du C.S.A. qui, sous la présidence d’Olivier Schrameck, tend à devenir un organe
de censure influencé par twitter.
La
liberté d’expression, que ce soit par la presse ou par l’opinion publique doit
rester la libre servante de la démocratie (selon l’expression de Marc-Antoine
Dilhac, professeur agrégé et docteur en philosophie), limitée strictement par
les infractions de diffamation, d'injure, de provocation à la haine ou à la
violence, ou encore d'apologie du terrorisme ou du négationnisme.
(cf. ma proposition de réforme constitutionnelle en lien ici).
2018©LAURENT SAILLY – MECHANT REAC ! ®
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